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  • : Peintre, photographe et écrivain, Mallock s'entretient avec ses lecteurs, qu'il s'agisse de ses romans policiers : "les chroniques barbares", ou de ses livres d'art : Moon, Boob…
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11 août 2011 4 11 /08 /août /2011 12:38

         Palétuviers ivres de sang, mangles pourries, rivières défuntes, plantes entrelacées dans un même cauchemar lacustre, le marais était encombré d’oiseaux noyés, de racines aériennes et de crustacés géants.

         Les enfants de la Niyashiika avançaient devant, l’eau à mi-cuisse, sans même se retourner pour vérifier si l’étranger parvenait bien à les suivre. Mallock, pas vraiment rassuré, se disait qu’il n’avait jamais été aussi humide de sa vie. Même complétement immergé sous l’eau, en comparaison, il se serait senti plus sec. Il suivait les jumeaux pas à pas, car il se doutait que leur parcours, fait de virages et de retour en arrière, n’était pas le fruit du hasard. Ils mirent un temps infini à sortir de la mangrove.

Sans la moindre pause, ils attaquèrent la colline. Et ce n’est qu’arrivé pratiquement au sommet qu’ils s’assirent enfin sur le tronc d’un cocotier renversé. Ils mirent sur leur tête une gigantesque palme en guise de parapluie.

La violence de la pluie ayant fait glisser la palme qu’il avait posée sur sa tête, il la replaça et attendit. 

 Il se releva, laissant son frère seul sur le tronc d’arbre et fit signe à Mallock de le suivre. Il entreprit de grimper les derniers mètres qui menaient au sommet. Devant la porte d’un brouillon de maison, bois délabré, il laissa le commissaire avec sa perplexité et la boue noire qui dégoulinait sur ses mollets blancs.

Amédée Mallock se demanda comment il avait bien pu se laisser entraîner si loin de sa tanière dans le seul but d’interviewer une putain de sorcière ? Mais il n’était pas au bout de ses interrogations. Lorsque la Niyashiika apparut au pas de sa porte, la perplexité de Mallock se changea en un mélange de colère et d’hilarité. Ce qu’il avait devant lui, cette vieille petite chose noire, toute rabougrie, n’avait visiblement pas la moindre chance de pouvoir l’aider en quoi que ce soit. Si quelqu’un pouvait secourir l’autre, c’était bien lui, en lui donnant un peu d’argent et de quoi manger. Le dénuement de cette femme, comme l’état de son habitation de fortune, était absolu.

         Un premier phénomène atmosphérique amena cependant le doute dans l’esprit cartésien de Mallock. Sans que rien ne puisse le prévoir, en l’espace de quelques secondes, la pluie ralentit brusquement et le soleil apparut. Les yeux d’ambre de la Niyashiika s’allumèrent, braises étranges, avant de reprendre une teinte brune et se dissimuler derrière leurs paupières. Elle baissa la tête pour surveiller ses pas et se retourna sans plus se soucier de son visiteur. Mallock, après une seconde d’hésitation, la suivit à l’intérieur. Derrière lui, la pluie reprit, transformant le chambranle dénudé de la cabane en un rideau d’éclats de verre.

         Sur le sol en terre, trois poules, un coq et une centaine de poussins tournaient en rond. Ils avaient, eux aussi, la couleur de l’ambre, rayés d’or pour certains, de charbon pour les autres. Entre les planches de la cabane, un soleil ambigu pénétrait en formant avec la poussière autant de gloires acérées. Du plafond en tôle ondulé tombaient des ustensiles de cuisine et quelques récipients en plastique coloré.

Sans lui demander son avis, la vieille femme entreprit de préparer ce que Mallock prit d’abord pour du café. Feu de bois. Chaussettes pour filtrer. Multiples bols en métal afin de transvaser plusieurs fois le liquide obtenu. Sans doute, pour obtenir un breuvage homogène. À chaque fois rajout de poudre, de sucre, d’eau trouble où trempaient des racines et des herbes.

         Mallock aurait plutôt opté pour un bon whisky. Mais il n’avait pas son mot à dire. Alors il sirota, méfiant, le liquide. C’était chaud et poivré avec, en effet, un arrière-goût de café. La vieille lui fit signe de la suivre dehors. Le soleil fit briller ses cheveux blancs bien peignés en un chignon serré.

         Son visage était surprenant. Elle ne ressemblait pas aux gens d’ici, plutôt à une Indienne. Et plus Mallock la regardait, plus il se rendait compte de son étrange beauté. Elle, souriante, regardait le ciel et le soleil qui se couchait. Sans qu’il en ait vraiment conscience, autour de lui, le réel se déformait, disparaissait pour réapparaître cent fois plus clair, comme s’il avait été de tout temps myope et que l’on venait enfin de lui offrir une paire de lunettes à sa vue.

         Amédée se surprit à penser qu’il allait revoir Thomas et il n’avait toujours pas amené sa vieille Jaguar au control technique, avant que son cœur s’accélère, puis s’arrête. Il n’y eut ni long couloir lumineux, et encore moins un fils debout à l’attendre. Il fut projeté directement en enfer. 

         Des milliers de sauvages caraïbes y dévoraient Arawaks et sycophantes. Le sol était mauve et blanc, fait de viscères et d’os entrecroisés, comme tissés méticuleusement. Au loin brillaient des bûchers faits de bras d’enfants et des montagnes de dents. Il y eut une courte tempête de neige rouge, des braises descendant violemment du ciel. Puis, apparut le serpent cosmique, celui que l’on nomme Ouroboros en Afrique, Shesha chez les Indiens, Typhon dans la mythologie grecque.

       Mallock trembla mais il n’eut pas peur. C’était le cœur et l’esprit de l’univers qu’il regardait, sa source et son commencement. Une même entité, Dieu et Chaos. Infiniment grand, démesurément minuscule. Tout à la fois, serpent universel et chromosome aux yeux atrabilaires.

       Accompagnant l’arrivée magistrale de l’initial prodige, il entendit la première Gnosienne de Satie, jouée sur un minuscule clavecin par un petit singe à peau nue, dont le cerveau jaune brillait à la lumière de la Lune. Le petit animal était assis sur la margelle d’un puits. Autour, trois gros chiens noirs tenaient la garde, tandis qu’au-dessus, des milliers d’hirondelles tournaient silencieusement en cyclone jusqu’au firmament.

       Mallock marcha plus loin, jusqu’à la croisée des sept chemins. Dans chacune de ces rues, il y avait des gens debout, assis et couchés, étrangers qu’il reconnaissait, malgré leurs accoutrements disparates. Marchant parmi eux, il y avait aussi des sentiments puissants aux corps remplis d’eau, aux yeux incrédules, aux sourires finalement évidents. Il vit des bras ballants avec, au bout, des mains qui le regrettaient. D’effarantes déflagrations de mélancolie, tire de barrage d’une artillerie impériale. Puis l’armée des balles en plomb, crachées de mousquets anciens. Des centaines de rancœurs acérées. De l’amour aussi, et des joies tsunami. Des langues silencieuses. Et des remords. Des averses et des soleils, et de la terre qu’on troue…

Et il se vit, lui, nageant dans la terre. Il y faisait de larges mouvements de brasse pour avancer, tout étonné que le sol n’offrît pratiquement aucune résistance. Ses doigts seuls ressentaient la traversée de la matière, un peu comme l’enfant, lorsqu’il gratte le sable mouillé pour y bâtir son château en bord de mer. Parfois, le rêveur contournait des pierres, les plus grosses et les plus denses, parfois il traversait de grands lacs de pétrole en s’émerveillant de l’ébénitude flamboyante du ciel.

Mallock était encore en train de nager ainsi dans la terre quand il se sentit soudain tiré en arrière, vers le haut. Transperçant le sol, son corps jaillit brusquement en pleine lumière.

Plus haut, un drapeau français gigantesque, attaqué par les vents, se tordait en vastes vagues.

 

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