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  • : MALLOCK BLOG
  • : Peintre, photographe et écrivain, Mallock s'entretient avec ses lecteurs, qu'il s'agisse de ses romans policiers : "les chroniques barbares", ou de ses livres d'art : Moon, Boob…
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22 août 2011 1 22 /08 /août /2011 09:48

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19 août 2011 5 19 /08 /août /2011 18:00

Lundi 11 novembre, Vol, AF 380

Dans l’avion à destination de Saint-Domingue.

 

      Six jours s’étaient écoulés en préparatifs et en négociations avec les autorités dominicaines. Mallock n’avait eu le feu vert que la veille, en fin d’après-midi. Or le seul vol encore disponible était un Paris-Saint-Domingue avec escale à Saint-Martin. Il n’avait appris que trop tard le petit détail qui fait tout l’attrait des grandes aventures : arrivant à Saint-Domingue, il aurait l’opportunité de se payer la traversée de toute l’île, pour en rejoindre la côte nord. Youpi ! Quatre à cinq heures de tape-cul pour couronner en beauté les quinze heures d’avion.

       Comme promis, l’hôtesse lui amena enfin son plateau-repas.

       – Encore désolée de vous avoir réveillé, commissaire.

     Commissaire ! Merde, il venait encore de se faire détroncher. Depuis sa dernière enquête, il avait du mal à passer inaperçu.

       – Que désirez-vous boire ?

      Elle souriait si généreusement que Mallock se surprit à compter ses dents. Pas possible qu’elle n’en ait que trente-deux. Au moins le double.

       – Whisky, double, s’il vous plaît.

       – Glaçons ?

      Mallock jeta un coup d’œil sur la marque de whisky proposé :

       – Oui, s’il vous plaît. Et un peu d’eau pétillante.

       Un nectar pareil, ça se noie sans pitié. Il en but la moitié puis attaqua sa pitance.

  Homme d’expérience, habitué aux épreuves de la vie et au courroux du ciel, il avait appris à se prémunir de toute espérance. Il n’avait donc donné qu’un seul objectif à ce repas, celui de colmater un peu le trou qu’il avait dans l’estomac. Mais là encore, il avait trop attendu de la magnanimité des dieux. Comment rassembler alors assez de courage pour attaquer le plat qui lui tendait les bras, une viande non identifiable baignant dans une déjection de légumes ? Il mit quelques minutes à dégager ses couverts en plastique. Chaque centimètre carré de l’appareil semblait avoir été comptabilisé, plutôt deux fois qu’une, afin de rentabiliser au maximum chaque vol. Tout ça pour finir chaque année à perdre toujours plus d’argent, songea Mallock en partant à l’attaque de cette viande réfractaire.

       La fourchette se plia, mais le couteau commença vaillamment à scier l’immonde barbaque, objectif qu’on lui avait assigné. Après une cinquantaine de coups de coude dans le dos de son siège, Mallock put enfin détacher un spécimen de la chose pour le porter à sa bouche. L'effort était beau et méritait récompense, mais Amédée se révéla incapable d’identifier la viande. Cela avait l’apparence du bœuf, la consistance du veau et l’insipidité d’un vieux navet cuit à la vapeur. Il ne se sentit pas le courage de continuer et préféra tester les légumes. Il reconnut vaguement de la mayonnaise et un arrière-goût d’ammoniaque. Même lors de ses études supérieures à Paris, dans les cantines du CROUS, il n’avait jamais rencontré une telle calamité culinaire. En lieu et place de ce plat prétentieux et réchauffé, il eut été bienvenu de proposer un simple sandwich jambon-beurre.

       Un énervement en chassa un autre. Devant lui, un type, genre champion de lutte gréco-romaine, en plus gras, allongea brusquement son siège au maximum, lui écrasant les genoux, tout en lui rentrant le plateau dans le ventre. De toute sa force, Mallock releva l’ensemble et se pencha vers l’avant pour lui murmurer gentiment à l’oreille :

– Vous recommencez ça, et je vous fais bouffer votre siège !

       Mallock était parfois timide ou indifférent, capable de rester devant un bras d’honneur sans avoir même l’envie de réagir mais, à d’autres moments, il valait mieux éviter de le chatouiller. Le gros costaud était simplement tombé sur un mauvais jour. Un Amédée en pleine migration, ça ne se bouscule pas, même avec un plateau-repas.

 

       Mallock fit dégager son plateau par une hôtesse qui eut l’intelligence, l’expérience sans doute, de ne pas lui demander son opinion sur ce qu’il venait de tenter d’ingurgiter. C’était peut-être prévu dans leur formation : « Surtout, n’allez pas chercher des emmerdes en leur demandant si c’était bon. Débarrassez vite, comme on arrache un pansement ». Cette idée eut le mérite de le faire sourire. Il tenta alors de s’assoupir, tout en gardant un œil mi-clos sur l’un des films diffusés. Une technique à lui pour se laver le cerveau et permettre ainsi l’endormissement profond de la bête. Elle fut payante puisqu’il ne se réveilla qu’au moment où l’avion touchait violemment le sol avant de rebondir par deux fois et s’immobiliser enfin. Un atterrissage de débutant bourré ! Stupéfait, Mallock entendit les voyageurs applaudir à tout rompre. Par simple connerie ou par soulagement de ne pas s’être écrasés ? Allez savoir.

 

       Transit à Saint-Martin : paradis fiscal pour loueurs de bateaux bidons, scorpions aux pinces d’or, grands traficoteurs de loi Pons, raclures de démocratie, enculés de poussière de star, repaire cocotierisé pour détourneurs de trésors publics, abuseurs de biens sociaux, riches en short, avocats de grand chemin et leurs palanquées de petits juges corrompus. Mallock aurait bien rasé cet ersatz d’île pour dealers, grossistes en poudre pour génocide d’ange, où se croisent, en chemise Hawaï, les avides en transit et les grosses merdes emperlousées à la retraite.

       Mais les intentions belliqueuses de Mallock furent soudain interrompues par la rencontre brutale de sa tête avec un sac Vuitton. Bruit de verre. La dame responsable de cet attentat lui lança :

      – Mais faites donc attention !

       Ce roturier n’aurait-il pas brisé l’un de ses précieux flacons de parfum avec son gros crâne qui dépasse ? Peut-on juger rassurant de constater que les riches sont largement aussi cons que les pauvres, se demanda simplement Mallock sans rien rétorquer à la grosse pouffiasse. Si ce n’est pas rassurant, c’est logique. Notables ou indigents, c’est les mêmes. La pauvreté accroît leur amertume et leur jalousie. La richesse ? Leur morgue et leur indifférence.

 

         Dehors, il y avait une ligne de baraquement derrière laquelle on pouvait apercevoir une fine bande turquoise : la mer tiède et narquoise, recolorée en permanence par le syndicat d’initiative. Plus loin, embrumées de chaleur, des chaînes de montagnes, comme délavées.

         Un couillon rasé tout bronzé, style basketo-surfé, décida de profiter de l’escale pour changer de place et s’approprier ainsi le siège laissé vacant par le lutteur de foire. Casquette Nike, bermuda rouge tombant entre les jambes, demi-bouc pelé et barrette circulaire dans les cheveux, il bouscula Mallock en remplissant le casier à bagage au-dessus de lui. Amédée lui déversa tranquillement le contenu glacé de son verre au niveau de la braguette.

         Comme les clous, un con chasse l’autre. Depuis le temps, un vieil humain comme lui devrait le savoir. Seul, peut-être, le misanthrope fait acte d’un peu de clairvoyance et d’équité, d'altruisme, en tenant tout être vivant à distance raisonnable. Pour pouvoir les supporter ? Parvenir encore à aimer ?


         L’avion, vidé en grande partie de ses occupants, avait recommencé à se remplir de nouveaux arrivants. Une andouille rosâtre, en short de brousse, était en train de redescendre nerveusement ses bagages pour les poser sur les sièges de part et de d’autre de son gros cul. Il espérait ainsi dissuader les nouveaux venus de venir encombrer son espace vital. Vu les débords de graisse et l’odeur de sueur de la bête, autant satisfaire à cette exigence, pensa Mallock.

         Association de pensée. Il avait revu Barthélemy, il y a une dizaine de jours. Encore en prison pour quelques mois, le malheureux protagoniste de l’affaire du « Massacre des Innocents » s’était transfiguré, physiquement et moralement. Il avait fini par lui confier l’endroit où il avait caché ses disquettes. Mallock les avait retrouvées et détruites. Non sans avoir satisfait d’abord sa curiosité personnelle et pris quelques notes. Maintenant, il était imbattable sur les poisons et leurs effets cumulés.

 

         Les portes s’étaient refermées et l’avion avait redécollé. Mallock caressa le secret espoir d’un changement de pilote. Il ne se sentait pas d’humeur à terminer à la baille entourée d’une joyeuse bande de requins hilares. Pas aujourd’hui en tout cas. Quant à l’andouille rosâtre, pas de bol pour lui mais les places étaient numérotées. Il suait maintenant entre deux grosses dames.

         La voie de l’hôtesse de l’air s’éleva pour la quatrième fois, et dans toutes les langues, pour répéter que le vol Saint-Martin/Saint-Domingue était un vol entièrement non-fumeur. Mallock s’en foutait, vu que, atrabilaire mais respectueux de l’autre, il ne fumait jamais dans un espace restreint.

      Au secours ! Un steward farceur avait décidé de rediffuser pour la sixième fois le film sur les précautions à prendre en cas de crash. Mallock se renfonça au fond de son siège en faisant une grimace. Son dos, immobilisé depuis plus de huit heures, commençait sérieusement à le faire souffrir. Il avait eu droit, ces derniers mois, à une série de piqûres puis à des séances d’étirement sur une machine de torture. La première fois, avant de s’allonger sur l’engin moyenâgeux, il avait demandé à l’infirmière si la chèvre était là pour lui lécher la plante des pieds. Vu qu’elle n’avait pas vu le film, la blague du commissaire l’avait plongée dans une perplexité sans fond. Le résultat de ces séances, outre une perte de temps respectable, avait été nul, et il ne restait plus à Mallock que la pose d’un lombostat, seyant corset moulé directement sur le corps, pour tenter de sauver son dos en échappant à l’opération.

       – Je serais vous, je profiterais de l’hiver. Quand il fait chaud, c’est encore plus pénible.

        Mallock avait finalement accepté la proposition du médecin « malodopathe » qui s’occupait de sa « bobopathie » chronique et prit rendez-vous pour la pose du corset le 24 décembre. Depuis qu’il vivait seul, il aimait bien se faire des chouettes cadeaux, surtout pour Noël.

      Un formulaire apparut, tombant du ciel. Chic, quelque chose à faire pour échapper au didactisme verbeux du film. Son stylo s’arrêta machinalement sur « tourisme », mais il cocha « pour affaire », en se demandant à quelles intrigues diplomatiques et complications administratives – deux pléonasmes d’affilé – il allait encore devoir faire face. Il connaissait trop sa propension naturelle à ne se mettre que dans les emmerdes pour imaginer un seul instant s’en tirer par un simple rapatriement.

      Re-atterrissage navrant, re-applaudissements, cohue de cons piaffant pour sortir, alors que l’avion ne s’était pas encore immobilisé. Mallock, resta assis à sa place, tournant sa tête vers le hublot pour échapper à cet affligeant spectacle. Il se demanda, encore une fois, s’il parviendrait à finir sa vie sans devenir définitivement misanthrope, ou bien psychopathe, tueur forcené décimant les passagers d’un train, d’un bus climatisé ou, pourquoi pas, d’un avion atterrissant à Saint-Domingue ?

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18 août 2011 4 18 /08 /août /2011 13:45

         L’air avait un parfum de sucre roux. Des ruisseaux de boue cannelle descendaient le long de la route et des torrents de pluie s’abattaient sur le pare-brise du véhicule. Les voitures, pourtant en grande partie aveuglées, continuaient à se croiser à toute allure. Miracle après miracle, elles parvenaient à s’éviter. Mallock commençait à se demander si, tout compte fait, il avait eu raison de quitter le refuge de l’hôtel pour risquer sa vie en partant à la chasse d’une vieille femme incertaine.

Ils mirent une bonne demi-heure pour atteindre la manufacture et parvenir jusqu’au mystérieux entremetteur. À leur arrivée, le vieil homme se leva de sa chaise. Son corps ressemblait à un cigare Panatela. Sec, maigre et plissé. Sa peau, en parfaite harmonie, avait toutes les nuances d’une feuille de tabac. Zagiõ, c’était son nom, s’occupait de faire fonctionner l’humidificateur dans le saint des saints, la salle des capes. À chaque fois qu’il déclenchait l’antique machinerie, toute la pièce et ses occupantes étaient envahies par un brouillard d’eau opaque. Mister Blue s’approcha et commença à lui parler en confidence. Zagiõ l’écouta, ne l’interrompant que pour lui glisser de nouvelles interrogations dans le creux de l’oreille.

         Fasciné par la fabrique, Mallock en avait oublié sa mission. Le parfum des capes humides, l’odeur puissante des crus compressés dans des centaines de cubes en toile, toutes ses variations de teinte, du vert au brun foncé, la variété de forme des cigares… Mallock l’amateur était aux anges. Il caressa, huma, puis, dans la partie conditionnement, commença à allumer quelques calibres. Il rejeta toutes les premières propositions de « Dominguo touristo » au parfum doux et écœurant et leur fit ouvrir la réserve spéciale, fouilla, leur demanda un tabouret pour atteindre les rangées du haut, les plus anciennes, redescendit et testa à nouveau jusqu’à avoir six différents cigares se consumant lentement entre les doigts. Son choix s’arrêta sur de très gros modules à la tripe noble, aux capes parfaites, maduro. Il en fit préparer deux cents. Et la même quantité de taille robusto, mais avec une cape encore plus sombre, presque obscuro. Il demanda enfin à ce que la moitié d’entre eux subissent le traitement spécial, le passage d’un tissu enduit de sucre de canne et de rhum sur le bout que l’on porte en bouche.

Durant tout ce temps, Zagiõ avait suivi Mallock dans ses différents déplacements. Il se retourna une dernière fois vers lui. Ses yeux noirs semblèrent vouloir se frayer un chemin jusqu’à l’âme du commissaire, en prenant la porte entr’ouverte de ses iris absinthe. Puis, apparemment satisfait de ce qu’il y avait aperçu, il glissa sa main parcheminée dans la poche de la guenille trouée qui lui servait de pantalon. Il en sortit un objet dont Mallock n’aurait jamais soupçonné la présence, un téléphone portable de dernière génération. Il le déplia et composa un numéro. Quelques phrases plus tard, il le referma et le remit dans sa poche. Mister Blue le remercia, en lui tapant à plusieurs reprises sur l’épaule. Zagiõ finit par lui répondre par un grand sourire, révélant la présence d’un dentier blanc comme neige dans une bouche aux gencives noires.

       – Zagiõ a fait parvenir le message, précisa Jean-Daniel, l’annonce de notre arrivée, mais il n’y aura pas de réponse. Il faut risquer le coup, elle ne sera peut-être pas là. De toute façon, le temps qu’elle soit prévenue, on peut aller déjeuner.

       – Y’a un truc correct dans le coin ?

       Dans le cas contraire, Mallock préférait s’abstenir.

       – En faisant un petit détour, j’ai pensé vous emmener à Camp David, dans la résidence d’été de Trujillo. Ses anciens partisans en ont fait un musée à la gloire de leur dictateur, et surtout, un excellent restaurant. Bien entendu, il n’est pas ouvert à tout le monde, mais je connais le chef, Jean Jansac, dénommé Jeanjean, natif de Ribérac, patrie du foie gras. Il était déjà là quand je suis arrivé. Je suis certain qu’il en connaît plus sur Trujillo et Darbier que la plupart des gens. On peut essayer de l’interroger lui aussi, on verra bien. Non ?

         Un quart d’heure plus tard, le pick-up mauve passa un vieux portail, sans système de surveillance apparent. Normalement, tout le long du trajet qui menait jusqu’à la grande bâtisse, la résidence était protégée par des gardes armés de riot guns, mais la pluie les avait chassés de leurs postes. Mallock et Mister Blue ne furent contrôlés qu’une fois arrivés au sommet de la colline, dans le hall d’accueil du restaurant. Extérieurement, la résidence était vaste, plate et blanche, une sorte de gigantesque plateau à fromages avec des toits rouges au-dessus. Première surprise, l’endroit était désert. À part les gardes et les employés, tous debout, aucun visiteur n’était assis autour de l’une des vingt et une grandes tables, ou sur la terrasse protégée. Seconde surprise, une bonne partie du salon principal, transformé en restaurant, était occupée par des voitures, les anciennes Chevrolets du tyran, avec leurs plaques personnalisées « BENEFACTOR DE LA PATRI », de petits drapeaux poussiéreux sur le côté et un gros phare rouge supplémentaire posé sur l’aile avant. Les calandres chromées ressemblaient à autant de mâchoires voraces. Énormes dentiers d’argent, elles disaient le désir de puissance et de dévoration de leur propriétaire. Il ne manquait qu’une des voitures préférées du dictateur, celle qui avait été transpercée par les balles des hommes de main des Mirabal's sisters, avec Trujillo à l’intérieur.

         Devant le bar EL GENERALISIMO, un gros bonhomme aux joues rayées de couperose les attendait. Jeanjean n’avait pas dans les yeux la bonhomie que son corps exprimait. Son sourire était là, mais sclérosé, brouillé par un éternel sanglot. Ils furent cependant accueillis avec force démonstrations d’amitié. Le Français devait mourir d’ennui, seul sur sa colline depuis tant d’années.

 

SORTIE OCTOBRE 2011

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11 août 2011 4 11 /08 /août /2011 12:38

         Palétuviers ivres de sang, mangles pourries, rivières défuntes, plantes entrelacées dans un même cauchemar lacustre, le marais était encombré d’oiseaux noyés, de racines aériennes et de crustacés géants.

         Les enfants de la Niyashiika avançaient devant, l’eau à mi-cuisse, sans même se retourner pour vérifier si l’étranger parvenait bien à les suivre. Mallock, pas vraiment rassuré, se disait qu’il n’avait jamais été aussi humide de sa vie. Même complétement immergé sous l’eau, en comparaison, il se serait senti plus sec. Il suivait les jumeaux pas à pas, car il se doutait que leur parcours, fait de virages et de retour en arrière, n’était pas le fruit du hasard. Ils mirent un temps infini à sortir de la mangrove.

Sans la moindre pause, ils attaquèrent la colline. Et ce n’est qu’arrivé pratiquement au sommet qu’ils s’assirent enfin sur le tronc d’un cocotier renversé. Ils mirent sur leur tête une gigantesque palme en guise de parapluie.

La violence de la pluie ayant fait glisser la palme qu’il avait posée sur sa tête, il la replaça et attendit. 

 Il se releva, laissant son frère seul sur le tronc d’arbre et fit signe à Mallock de le suivre. Il entreprit de grimper les derniers mètres qui menaient au sommet. Devant la porte d’un brouillon de maison, bois délabré, il laissa le commissaire avec sa perplexité et la boue noire qui dégoulinait sur ses mollets blancs.

Amédée Mallock se demanda comment il avait bien pu se laisser entraîner si loin de sa tanière dans le seul but d’interviewer une putain de sorcière ? Mais il n’était pas au bout de ses interrogations. Lorsque la Niyashiika apparut au pas de sa porte, la perplexité de Mallock se changea en un mélange de colère et d’hilarité. Ce qu’il avait devant lui, cette vieille petite chose noire, toute rabougrie, n’avait visiblement pas la moindre chance de pouvoir l’aider en quoi que ce soit. Si quelqu’un pouvait secourir l’autre, c’était bien lui, en lui donnant un peu d’argent et de quoi manger. Le dénuement de cette femme, comme l’état de son habitation de fortune, était absolu.

         Un premier phénomène atmosphérique amena cependant le doute dans l’esprit cartésien de Mallock. Sans que rien ne puisse le prévoir, en l’espace de quelques secondes, la pluie ralentit brusquement et le soleil apparut. Les yeux d’ambre de la Niyashiika s’allumèrent, braises étranges, avant de reprendre une teinte brune et se dissimuler derrière leurs paupières. Elle baissa la tête pour surveiller ses pas et se retourna sans plus se soucier de son visiteur. Mallock, après une seconde d’hésitation, la suivit à l’intérieur. Derrière lui, la pluie reprit, transformant le chambranle dénudé de la cabane en un rideau d’éclats de verre.

         Sur le sol en terre, trois poules, un coq et une centaine de poussins tournaient en rond. Ils avaient, eux aussi, la couleur de l’ambre, rayés d’or pour certains, de charbon pour les autres. Entre les planches de la cabane, un soleil ambigu pénétrait en formant avec la poussière autant de gloires acérées. Du plafond en tôle ondulé tombaient des ustensiles de cuisine et quelques récipients en plastique coloré.

Sans lui demander son avis, la vieille femme entreprit de préparer ce que Mallock prit d’abord pour du café. Feu de bois. Chaussettes pour filtrer. Multiples bols en métal afin de transvaser plusieurs fois le liquide obtenu. Sans doute, pour obtenir un breuvage homogène. À chaque fois rajout de poudre, de sucre, d’eau trouble où trempaient des racines et des herbes.

         Mallock aurait plutôt opté pour un bon whisky. Mais il n’avait pas son mot à dire. Alors il sirota, méfiant, le liquide. C’était chaud et poivré avec, en effet, un arrière-goût de café. La vieille lui fit signe de la suivre dehors. Le soleil fit briller ses cheveux blancs bien peignés en un chignon serré.

         Son visage était surprenant. Elle ne ressemblait pas aux gens d’ici, plutôt à une Indienne. Et plus Mallock la regardait, plus il se rendait compte de son étrange beauté. Elle, souriante, regardait le ciel et le soleil qui se couchait. Sans qu’il en ait vraiment conscience, autour de lui, le réel se déformait, disparaissait pour réapparaître cent fois plus clair, comme s’il avait été de tout temps myope et que l’on venait enfin de lui offrir une paire de lunettes à sa vue.

         Amédée se surprit à penser qu’il allait revoir Thomas et il n’avait toujours pas amené sa vieille Jaguar au control technique, avant que son cœur s’accélère, puis s’arrête. Il n’y eut ni long couloir lumineux, et encore moins un fils debout à l’attendre. Il fut projeté directement en enfer. 

         Des milliers de sauvages caraïbes y dévoraient Arawaks et sycophantes. Le sol était mauve et blanc, fait de viscères et d’os entrecroisés, comme tissés méticuleusement. Au loin brillaient des bûchers faits de bras d’enfants et des montagnes de dents. Il y eut une courte tempête de neige rouge, des braises descendant violemment du ciel. Puis, apparut le serpent cosmique, celui que l’on nomme Ouroboros en Afrique, Shesha chez les Indiens, Typhon dans la mythologie grecque.

       Mallock trembla mais il n’eut pas peur. C’était le cœur et l’esprit de l’univers qu’il regardait, sa source et son commencement. Une même entité, Dieu et Chaos. Infiniment grand, démesurément minuscule. Tout à la fois, serpent universel et chromosome aux yeux atrabilaires.

       Accompagnant l’arrivée magistrale de l’initial prodige, il entendit la première Gnosienne de Satie, jouée sur un minuscule clavecin par un petit singe à peau nue, dont le cerveau jaune brillait à la lumière de la Lune. Le petit animal était assis sur la margelle d’un puits. Autour, trois gros chiens noirs tenaient la garde, tandis qu’au-dessus, des milliers d’hirondelles tournaient silencieusement en cyclone jusqu’au firmament.

       Mallock marcha plus loin, jusqu’à la croisée des sept chemins. Dans chacune de ces rues, il y avait des gens debout, assis et couchés, étrangers qu’il reconnaissait, malgré leurs accoutrements disparates. Marchant parmi eux, il y avait aussi des sentiments puissants aux corps remplis d’eau, aux yeux incrédules, aux sourires finalement évidents. Il vit des bras ballants avec, au bout, des mains qui le regrettaient. D’effarantes déflagrations de mélancolie, tire de barrage d’une artillerie impériale. Puis l’armée des balles en plomb, crachées de mousquets anciens. Des centaines de rancœurs acérées. De l’amour aussi, et des joies tsunami. Des langues silencieuses. Et des remords. Des averses et des soleils, et de la terre qu’on troue…

Et il se vit, lui, nageant dans la terre. Il y faisait de larges mouvements de brasse pour avancer, tout étonné que le sol n’offrît pratiquement aucune résistance. Ses doigts seuls ressentaient la traversée de la matière, un peu comme l’enfant, lorsqu’il gratte le sable mouillé pour y bâtir son château en bord de mer. Parfois, le rêveur contournait des pierres, les plus grosses et les plus denses, parfois il traversait de grands lacs de pétrole en s’émerveillant de l’ébénitude flamboyante du ciel.

Mallock était encore en train de nager ainsi dans la terre quand il se sentit soudain tiré en arrière, vers le haut. Transperçant le sol, son corps jaillit brusquement en pleine lumière.

Plus haut, un drapeau français gigantesque, attaqué par les vents, se tordait en vastes vagues.

 

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7 août 2011 7 07 /08 /août /2011 21:03

Couv Tome 3

Inutile de le nier, enfermé dans son joli costume fripé, il se sentait moite et un peu con. Alors, pour la première fois depuis qu’il avait atteint l’adolescence et l’autorisation de quitter enfin les horribles shorts que sa mère tenait absolument à lui faire porter, Amédée songea à l’éventualité de s’acheter cet inimaginable morceau de tissu : un bermuda. Pour en accepter l’idée, il ne l’importa dans son cerveau que sous la forme d’une simple hypothèse de travail, soumise à toute une série de conditions : forme, matière, couleur… Mais le ver était dans le fruit et le monde allait peut-être pouvoir enfin voir cette image d’anthologie : Mallock en short !

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7 août 2011 7 07 /08 /août /2011 16:57
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7 août 2011 7 07 /08 /août /2011 15:38

 

 

 

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6 août 2011 6 06 /08 /août /2011 16:46

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Un grand MERCI à CHANTAL et ANNIE, boss en chef respectivement

de la médiathèque et de la superbe librairie : "Le Jardin des Lettres".

Et merci aux "DEUX FRANÇOIS", à gauche Darnaudet, auteur du dernier Poulpe,

à droite : F. Tabutiaux, l'animateur du débat et journaliste de la dépêche.

Le vin était extra et les huitres… superbes !

NB : J'avoue, j'ai passé mon tour côté lamellibranches…

Merci infiniment également à tout le personnel de la médiathèque…

Biz à Lilianne.

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4 août 2011 4 04 /08 /août /2011 15:22

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4 août 2011 4 04 /08 /août /2011 09:18

 

 

Je le confesse dans un genre bien différent :)      

N'hésitez pas à aller découvrir son premier album "Big Science"

Mais, que de chemin parcouru depuis (1982), grâce à des Britney et des Biueber ;-D)

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